La petite vie de Rozenn Cavanaugh, née Maynard, a pourtant commencé d'une façon pour le moins... étonnante. Violente, en fait. Pour être complètement précise, elle a commencé dans le sang et la douleur de la mort de sa mère, Karel Maynard. En effet, celle-ci déjà affaiblie par quatre accouchements précédents, par une grossesse particulièrement éprouvante et par l'arrivée prématurée de la petite dernière du couple, n'avait tout simplement pas su résister à l'épuisement et aux pertes sanguines qu'ont engendré la naissance de son dernier enfant - et unique fille. A peine quelques heures après la fin du travail, Karel Maynard rendait l'âme, le temps pour elle de nommer l'enfant. Alwena Rozenn Maynard était née, minuscule dans les bras de Malo, son frère de sept ans son aîné. Autant dire que c'était le début d'une vie plutôt mouvementée.

En effet, seule fille d'une fratrie de cinq enfants, son père Tomaz Maynard ne trouva apparemment pas utile d'adapter son mode d'éducation pour une jeune demoiselle. Il éleva donc sa seule fille de la même façon qu'il élevait Malo, Dainial, Sezni et Youenn. Comme un homme. L'art de la cuisine, de la couture et de la broderie passèrent donc à la trappe et il préféra lui montrer comment s'occuper d'un cheval, réparer une chaise cassée ou encore comment négocier avec les commerçants du marché. A dix ans, elle connaissait plus de jurons plus ou moins vulgaires qu'un marchand pas très net et avait déjà fichu quelques raclées à des garçons qui lui rendaient une quinzaine de centimètres et une dizaine de kilos. Ses frères, suivant l'exemple de leur père, n'avaient jamais chercher à la protéger comme il était de coutume dans les autres familles de Minas Tirith, la capitale du Gondor. Et Rozenn, en apparence, s'en accommodait très bien.

En réalité, elle allait trouver un peu de réconfort dès qu'elle le pouvait auprès de Jorah Zendel, un garçon de la classe haute qu'elle avait rencontré le jour de son sixième anniversaire. Descendant du fameux Boromir, de quatre ans son aîné, ils s'étaient d'abord contentés de jouer ensemble dans les rues de Minas Tirith avant de développer une véritable amitié qui perdura toute leur vie. Jorah était extrêmement protecteur envers elle, comme un frère aîné aurait dû l'être, et elle appréciait énormément cet état de faits. A ses côtés, elle pouvait redevenir la gamine qu'elle avait toujours été, et abandonner un moment le rôle de cinquième fils que lui attribuait trop souvent son père, en dépit de sa féminité qui s'accentuait - cheveux longs, visage d'ange, yeux en amande et sourire enjôleur. Elle était le portrait craché de sa mère. Déstabilisant.

Les années passèrent. Rozenn grandit, s'embellit un peu plus. Ses frères partirent pour la plupart dans l'armée ou bien à Rohan - en fait, un seul resta à Minas Tirith, ce fut Dainial qui récupéra le poste de chef cuisinier pour l'auberge que tenait la famille de leur père depuis quelques générations déjà. Et vint le jour fatidique où Tomaz Maynard mourut à son tour. Rozenn était alors âgée de seize ans et, Dainial refusant d'assumer le rôle de tenancier, elle se retrouva adolescente, propriétaire de l'établissement. Elle dut durcir encore son caractère pour réussir à s'affirmer auprès des clients malgré son jeune âge, quitte à frapper certains poivrots pour faire passer le message. On finit par comprendre. A dix-sept ans, alors qu'elle commençait à gagner une petite renommée durement acquise, elle perdait sa virginité dans les bras de Jorah - lui fraîchement rentré d'une bataille sérieuse et sanglante, plus ou moins gravement blessé ; elle soulagée au possible de le revoir en vie ; il leur avait suffi d'une étincelle pour mettre le feu aux poudres, en l'occurrence une étreinte trop prolongé et un baiser volé, aussi subit que spontané. Cette nuit n'a fait que renforcer une amitié déjà puissante, au point de la rendre quasiment fusionnelle.

A dix-huit ans, elle rencontrait l'homme dont elle tomberait amoureuse. Wilwarin Cavanaugh, le fils du forgeron, fier héritier du commerce familial. Elle ne lui avait encore jamais parlé, elle savait simplement qu'il avait deux ou trois ans de plus qu'elle, peut-être le même âge que Jorah. La première fois qu'ils se virent vraiment face à face, ce fut quand il vint déjeuner chez elle. Ce fut un drôle de moment, à vrai dire : lui penché sur son assiette, les joues rouges et elle étonnamment gênée, à lui jeter des petits coups d'oeil sans cesse. Il revint ensuite, de plus en plus souvent, jusqu'à manger tous les midis à l'auberge. Une drôle d'amitié se créa alors entre les deux jeunes gens.

Deux ans plus tard, ils officialisaient leur union par le mariage. C'était il y a près de huit ans, un beau mariage, très simple mais simplement adorable, où les familles des deux protagonistes étaient présentes. Depuis, ils essaient sans grand succès de concevoir un enfant - mais bien entendu, ils ont encore du temps devant eux, même si Rozenn approche dangereusement de la trentaine, hm ?

Au jour d'aujourd'hui donc, rien n'a réellement changé dans la vie de la dame Cavanaugh. Si ce n'est l'annonce de la renaissance du mal. Mais ça, pour le moment, elle n'y prête qu'une oreille distraite... Jusqu'à ce que les ragots de l'auberge The Rosewood's Cup soient réellement fondés, tout du moins.